En médiation scientifique, facilitons le débat avec les jeux de rôles !


Qui ne s’est jamais arraché les cheveux lors de l’animation d’une discussion autour des sciences et techniques ?

Débattre efficacement, c’est aussi se mettre à la place de tous les acteurs pour comprendre les arguments apportés de chaque côté. En occupant un ou plusieurs points de vue qui ne sont pas forcément le nôtre, on affûte ses propres arguments et on acquiert une bienveillance ô combien souhaitable dans les échanges autour de thématiques controversées. Nous allons explorer quelques outils existants et exemples issus de l’éducation populaire et des méthodologies d’intelligence collective qui ont vocation à faciliter les échanges et la créativité.

Jouer à débattre : l’exemple de l’Arbre des Connaissances

Jouer à débattre est un outil de médiation scientifique proposé par l’association l’Arbre des Connaissances, acteur spécialisé dans la facilitation du dialogue entre chercheurs, laboratoires et grand public. Ce jeu de rôle a été développé pour une utilisation dans les collèges et lycées pour travailler sur la notion de controverse et de débat sur des sujets scientifiques complexes. Pour le moment, ce jeu est disponible sur deux thématiques liées aux biotechs : l’humain augmenté et la biologie de synthèse. Une troisième est en préparation sur l’intelligence artificielle ! A suivre … 

Le principe est plutôt simple et reprend le format d’un procès : un groupe de 15-20 personnes, réparties entre un animateur, des jurés et des représentants de l’accusation et de la défense. Dans le cas de l’humain augmenté, ces deux derniers groupes vont tenter de convaincre les jurés d’autoriser ou d’interdire la commercialisation d’implants oculaires dans un futur proche. Le scénario et les ressources documentaires sont fournies en amont à l’animateur et permettent de cadrer le jeu efficacement, tout en permettant aux différents groupes de construire eux-mêmes leur argumentaire.

L’intérêt pour les élèves est évident dans le cadre du lycée : construire un argumentaire, forger la curiosité citoyenne, être en alerte sur les sujets de société sont des objectifs pédagogiques importants et ce type d’outil permet de les atteindre dans un cadre ludique. En revanche, à moins de multiplier les expériences, les élèves ne jouent qu’un seul rôle : pour, contre, décideur. 

Le débat participatif mis en scène : le théâtre-forum

Autre outil conçu cette fois pour un public plus adulte (mais tout à fait exploitable auprès de participants plus jeunes !) : le théâtre-forum. Issu des travaux d’Augusto Boal sur le théâtre social et notamment le Théâtre de l’Opprimé, cette forme de représentation favorise les interactions entre la troupe d’acteurs et le public en permettant aux spectateurs de devenir eux-mêmes acteurs. Cet outil est largement utilisé dans la résolution de conflits sociaux, mais a vocation a être utilisée également dans un cadre scientifique.

Théatre de l'opprimé

Le théatre de l’opprimé d’Augusto Boal (Wikimedia – Thehero – CC-BY-SA 3.0)

Même s’il peut revêtir plusieurs formes, le théâtre-forum est généralement décliné de la façon suivante :

  • Un animateur ou “joker” gère le débat au sein du public et cadre et coordonne les interventions des spectateurs. Il endosse donc un rôle hybride entre un metteur en scène et un facilitateur.
  • Une troupe de comédiens improvise (plus ou moins selon les représentations et les troupes) une scénette d’une dizaine de minutes sur un thème imposé à l’avance. Généralement, la scène finit sur une note négative, ce qui permet d’emmener le public dans une réflexion sur “comment pourrait-on améliorer la situation?”
  • La pièce est alors rejouée et l’animateur incite les spectateurs à intervenir dans la pièce et à jouer eux-même leur proposition d’amélioration.

Les outils décrivant la méthodologie et son intérêt sont nombreux. On peut notamment citer le guide réalisé par Animafac à destination des associations étudiantes qui est particulièrement clair et pertinent.

Ce type d’intervention permet un débat argumenté dans un cadre convivial – s’il est correctement modéré. Il permet, selon les attentes du public, de sensibiliser et convaincre le public, voire de co-construire des réponses dans le cadre d’un débat public ou d’une consultation. C’est donc un outil très utilisé dans le cadre des expérimentations de gouvernance participative comme des projets de ville ou l’élaboration de plans d’actions co-portés par les habitants d’un territoire.

De la même manière qu’avec Jouer à Débattre, le jeu d’un rôle différent que celui dont le spectateur à l’habitude (et où il est naturellement le plus à l’aise) n’est pas forcément encouragé. Même si ce type d’outil ouvre la prise de parole à des publics qui en sont parfois éloigné, ils ne permettent pas toujours l’expérimentation personnelle d’arguments hors de notre zone de confort. Un animateur aguerri pourra utiliser de personnalités un peu extrêmes pour les faire jouer à contre-emploi, mais le résultat dépendra toujours de la capacité du public à se mettre dans le bon état d’esprit. Pour l’aider, on peut se pencher du côté des outils de l’intelligence collective et de management de groupe.

Jouer tous les rôles pour construire collectivement : les 6 chapeaux de De Bono

Ah non, c’est pas le bon… (Ricardo Stuckert/PR Agência Brasil – CC BY 3.0)

Désolé, rien à voir avec le chanteur Irlandais, la méthode des six chapeaux a été développée par le psychologue Edward de Bono et formalisée dans l’ouvrage Six chapeaux pour penser (renommé Les six chapeaux de la réflexion dans son édition actuelle chez Eyrolles). Partant du principe que lors des processus de construction, chaque participant endosse souvent un rôle bien défini du fait de son caractère, de son envie et de ses pré-conceptions, de Bono propose de mélanger tout cela. La méthode, qui n’a – à première vue – rien à voir avec la médiation scientifique est plutôt simple : on définit 6 rôles (résumés ici par l’Université du Nous [pdf]), ou chapeaux, pris à tour de rôle par tous les participants d’une réunion :

  • le chapeau blanc est le chapeau de l’information, de la neutralité. On se contente d’amener des faits, des chiffres, des données fiables, sans interprétation ni commentaire.
  • le chapeau rouge est le chapeau des émotions, de l’intuition. Aucune justification, aucun fait, ici on rapporte ses pressentiments, sa colère, sa joie, c’est l’expression brut du coeur et du corps face à la thématique abordée.
  • le chapeau noir est le chapeau du jugement, de la critique négative. Quels sont les manques, les faiblesses, les risques ? Qu’est ce qui pourrait arriver de pire ? Autant dire que c’est un chapeau qui rencontre souvent un franc succès…
  • le chapeau jaune, à l’inverse, est le chapeau de l’optimisme et de la critique positive. Il a pour but de mettre en avant les forces, les opportunités et de mettre en avant les idées suggérées lors des autres phases pour passer à l’action.
  • le chapeau vert est le chapeau de la créativité, de la solution de rechange. Comment faire autrement, quelles alternatives mettre en place, quelles idées neuves ?
  • le chapeau bleu est le chapeau de l’organisation, de la synthèse. Son objectif, c’est de remettre en perspective les idées, de prioriser, de formaliser et de clarifier. On le retrouve quasi systématiquement au début et à la fin de chaque réunion

L’avantage ici est que tous les participants peuvent endosser la totalité des rôles (sauf l’animateur qui est un perpétuel chapeau bleu). L’éternel optimiste pourra broyer du noir, et le rabat-joie pourra s’autoriser à être optimiste. Il s’agit ensuite d’utiliser des alternances de couleurs selon le type de construction collective visée. Dans un brainstorming classique, on peut imaginer un enchaînement bleu-blanc-vert-noir-jaune-rouge-vert-bleu, par exemple. Les ressources sont nombreuses et facilement disponible pour mettre en pratique cette méthode, notamment le guide des outils de démocratie participative [pdf] de la Fondation Nature Homme (FNH). La méthode n’est toutefois pas spécifique à la médiation scientifique et mériterait quelques ajustements pour être utilisée dans le cadre d’ateliers sur des sujets de sciences en société.

Un bon coup de mixeur : existe-t-il une méthode idéale pour débattre en groupe dans la compréhension bienveillante de tous les points de vue ?

Les habitués des débats et conférences scientifiques le savent bien, le public est parfois difficile à modérer et le partage de points de vue peut se transformer en une volonté d’imposer une idée. Comment proposer un modèle efficace pour permettre à cet éventail de points de vue de se comprendre et d’échanger avec bienveillance ?

Les règles de l'intelligence collective

Y a plus qu’à! (Hélene Pouille et Recompose – CC-BY-NC-SA)

La méthode des chapeaux de Bono, couplée avec une préparation efficace sous la forme d’une étude documentaire poussée comme le propose Jouer à débattre semble apporter un cadre idéal à cet échange. On pourrait imaginer des chapeaux adaptés à chaque problématique : chapeau du sceptique, du technophile, du chercheur, du consommateur, du luddite ou encore du catastrophiste. Attention, ce type de méthode s’adresse à des groupes plutôt réduits afin de permettre à chacun de prendre la parole. L’important est de respecter deux principes de bases :

  • Une équité face à l’accès à l’information : les non-spécialistes doivent pouvoir s’exprimer sur une thématique scientifique ou technique et c’est le rôle du médiateur d’apporter des outils pour leur permettre cette expression (qu’ils soient documentaires ou méthodologiques)
  • Une participation du public en connaissance de cause : il faut jouer le jeu pour que cela fonctionne ! En effet si un participant ne souhaite jouer qu’un seul rôle (celui qui le rassure), il risque d’entraver le processus collectif. Il faut donc s’assurer que tous le monde partage les mêmes règles et y consent.

Un cadre bien défini et respecté permet à la parole des participants de s’exprimer et facilitera ainsi un échange respectueux de tous les points de vues et des individus. En revanche on perd la spontanéité créative que fait émerger le théâtre-forum… On sent bien qu’il n’existe pas de solution parfaite, si ce n’est l’expérimentation !

Testons, animons, affinons et partageons, nos pratiques en seront améliorées en continu et au final, ce sont les publics qui en profiteront !