RENCONTRE – Sciences, journalisme et médias avec Cécile Michaut


Fin 2017, nous avions la chance de rencontrer Cécile Michaut, journaliste scientifique / formatrice en vulgarisation / spécialiste en communication scientifique. A l’occasion d’un atelier au Cnam dans le cadre de la formation “Médiation culturelle des sciences et techniques”, nous avons donc pu aborder avec elle différentes problématiques très actuelles : la place de la vulgarisation scientifique dans le monde de la recherche, le métier de journaliste scientifique aujourd’hui, les fake news, la place des femmes en sciences et sur la scène médiatique. Et nous avons même discuté de Gaston Lagaffe ! 

Interview fleuve, on vous prévient ! Alors on commence par une vidéo histoire d’être dans le bain

 

Sème Ta Science :  Bonjour Cécile, pourrais-tu te présenter et présenter ton parcours professionnel ? 

Cécile Michaut : En fait j’avais envie d’être chercheuse et j’ai une formation scientifique à la base. Mon père était chercheur et j’avais trouvé que le milieu était sympa. J’avais l’impression qu’il n’y avait pas trop de pression, une bonne ambiance et des sujets intéressants. J’ai fait une thèse mais la thèse m’a moyennement plu. J’ai quand même essayé d’être maître de conférence parce que j’adorais enseigner et l’idée du poste à vie me plaisait bien. Mais plus ça allait et moins j’étais motivée. Au bout de deux ans, j’ai laissé tomber. Par contre, j’adorais vulgariser et j’ai cherché de ce côté-là : édition, journalisme… Ce qui a marché en premier, c’est le journalisme avec d’abord un stage à France Info avec Marie-Odile Monchicourt. Cela m’a permis de comprendre que j’aimais ça. Marie-Odile Monchicourt était super, elle m’a donné confiance en moi, ce qui était précieux.

Entre piges et contrats au sein de presses professionnelles (La Recherche, Environnement Magazine, Siences et Avenir), j’ai aussi décidé de créer une entreprise en 2013, Science et Partage, qui propose des activités de formation à la vulgarisation scientifique. J’adore vraiment cette mission.  En 2014, j’ai publié “Vulgarisation scientifique, mode d’emploi” avec comme objectif de proposer quelque chose de très pratique. J’avais vu beaucoup de choses assez théoriques sur la vulgarisation de chercheurs, c’est intéressant et il en faut. Mais je me suis dit “Voilà, celui qui veut [vulgariser, ndlr], pour l’instant, il n’a pas grand-chose”. 

 

STS :  Quelle est la part du journalisme scientifique dans tes activités ? 

CM : Je dirais un tiers de mes activités.  Un tiers est consacré à la communication scientifique, de la rédaction sans l’approche journalistique et cela se fait beaucoup pour des sites web. Un bon tiers, voire un peu plus, est consacré aux formations à la vulgarisation scientifique : règles générales de la vulgarisation,  vulgarisation écrite et aussi média-training avec une collègue,  Audrey Mikaëlian, réalisatrice audiovisuelle.

STS : A qui s’adressent ces formations exactement ?

CM : Essentiellement aux organismes de recherche, comme par exemple le CNRS, l’Université de Lyon, de Marseille, l’IFSTTAR par exemple. À l’université, il existe des formations doctorales qui sont un peu transversales et qui permettent aux doctorants d’acquérir des compétences générales. Mais j’ai aussi beaucoup de chercheurs, quelques ingénieurs et quelques communicants dans ces formations. Comme je connais bien le monde de la recherche, le monde de la communication et le journalisme, je fais un peu des ponts entre les deux. Et c’est vrai que, comme je suis docteure, ça rassure ces différents univers, même si je pense qu’il n’y a pas besoin d’être docteur pour être un bon vulgarisateur ou un bon journaliste.

STS :  Tu anticipes notre prochaine question qui était : faut-il être scientifique pour bien vulgariser les sciences ?

CM : Je ne pense pas. Je pense qu’il y a des avantages et des inconvénients. L’avantage, c’est de se plonger plus vite dans un sujet parce qu’on n’a pas peur de certaines choses complexes. Et aussi, peut-être que sur certains sujets, on se fait un peu moins avoir. On ne peut pas nous raconter trop de “cracks” dessus.

STS : Tu penses à quoi comme sujet ?

CM : Typiquement, le cas où l’on se fait avoir, mais c’est plutôt connu dans le monde journalistique, c’est avec la NASA. À chaque vote du budget, il y a la découverte géniale ! Je pense aussi à ce que j’appelle toutes les études à la con, qui sont “le chocolat est bon contre le cancer”, ou enfin des études microscopiques qui sont survendues par les communiqués de presse. Sauf que quand on a fait un peu de sciences, on sait bien qu’une étude en elle-même ne vaut rien. Si on a suivi un peu ce sujet, on sait bien qu’il y a 6 mois, il y avait eu le résultat exactement inverse. On se fait moins avoir par le côté “oh la super découverte géniale” qui en fait n’est pas si géniale que ça. Et puis, l’autre avantage c’est d’arriver à creuser un sujet qui a l’air un peu trop spécialisé et qui cache en réalité des choses intéressantes. Par exemple avec le boson de Higgs, on ne se dit pas “ohhhhh c’est pas pour moi, c’est trop compliqué”, ce que pourrait se dire quelqu’un qui n’est pas scientifique.

Inversement, le non-scientifique a pour grand avantage qu’il se met mieux à la place des lecteurs. Donc il posera peut-être des questions qui concernent plus les lecteurs. Quand j’ai débuté et que je sortais de sciences, j’avais trop tendance à être la porte-parole des chercheurs, j’avais trop tendance à être scientifique plutôt que journaliste, à défendre la science et à ne pas avoir assez l’esprit critique du journaliste.

Quelqu’un qui n’est pas scientifique sera plus humble sur ce qu’on lui dit, ira plus vérifier, ira plus mettre en doute, n’aura pas l’impression de tout savoir. Quelqu’un qui a une formation scientifique osera peut être moins dire qu’il ou elle ne comprend pas.

STS : Du coup, tu as gagné en neutralité et en esprit critique avec l’expérience ?

CM : Je ne suis plus en posture de défense de la science. C’est plutôt “voilà ce qu’on sait en science aujourd’hui, voilà ce qu’il se fait, avec les avantages, les inconvénients”. Je dirais qu’une bonne rédaction, c’est une rédaction qui mélange des profils. Malheureusement beaucoup de rédactions ont des gens qui se ressemblent trop, avec beaucoup de scientifiques ou avec beaucoup de gens de la même école de journalisme, ou même s’ils sont variés, issus du même milieu socio-culturel. Et ça, c’est dommage.

STS : C’est un peu ce qu’on retrouve aussi dans le monde de la recherche, critiqué par certains de se retrouver un peu dans l’entre-soi. 

CM : Mais c’est encore plus grave pour les médias qui sont censés s’adresser au public et qui en fait ne s’adressent qu’à une petite frange. Quand on reproche aux médias d’être parisianistes, c’est ça, la plupart des médias sont parisiens. Et Paris prend pour eux une importance démesurée par rapport à l’importance que ça a dans le reste du pays.

STS : Mettons les pieds dans le plat. On entend beaucoup parler des fake news depuis quelques mois. En sciences, comment cette problématique est-elle perçue et traitée ?

CM : Il y a plusieurs aspects. Les erreurs de bonne foi ou les petites études auxquelles on donne une importance démesurée comme je le disais tout à l’heure. C’est pas terrible mais ce n’est pas si grave. Et une erreur de bonne foi, ça veut dire que, quand il y a le démenti, il faut lui donner de l’importance aussi.

Un autre aspect : celui où il existe un consensus scientifique, mais certains médias font croire qu’il n’y en a pas. Typiquement, le climat est un bon exemple. Il y a un vrai consensus scientifique avec peut-être des petits détails qui ne mettent pas tout le monde d’accord. Mais le constat du réchauffement climatique et de la responsabilité des activités humaines dans ce réchauffement est approuvé par la quasi totalité des climatologues.

Et puis il y a d’autres sujets qui soulèvent une controverse scientifique. Je pense au glyphosate par exemple. Ce sont souvent des sujets qui touchent la santé publique, sur des effets assez faibles. Mais un effet même faible, s’il touche beaucoup de populations,  a un impact non négligeable.

Et puis il y a un troisième aspect des fake news : celui où il y a volontairement création de fake news. Cela a été bien écrit dans des livres comme “La fabrique du mensonge” de Stéphane Foucart, où des industriels construisent du doute là où il y avait une certitude. Ça a commencé avec la cigarette et continué avec l’amiante. En France, des scientifiques ont participé à des comités Amiante, payés par les industriels. Ils ont certifié qu’il n’y avait pas de danger et ont une véritable responsabilité dans l’affaire. Autre exemple récent, avec le docteur Aubier, pneumologue, qui disait que le diesel ne causait pas de cancer. Il était payé par Total.

On assiste à une vraie volonté de désinformer. Le problème, c’est que c’est souvent très bien fait, avec des moyens absolument énormes. Typiquement sur le climat, tous les pétroliers, toutes les industries de l’énergie ont mis des milliards pour créer cette désinformation et ça marche en partie. Et ça marche d’autant mieux avec les scientifiques ; si on leur dit qu’il faut encore faire des études, qu’on ne sait pas encore, ils acceptent car cela va dans leur culture. Alors qu’à un moment, même si on ne sait pas encore les détails, on en sait suffisamment pour prendre des décisions.

Des journalistes ont eu beau tenter de contrer ça, quand il y a une fake news, et que les journalistes ou experts prouvent que c’est faux, les personnes retiennent quand même la fake news. cela c’est vu notamment avec Trump.

STS : Difficile de revenir en arrière une fois que l’info est sortie et que les populations s’en sont emparées.

CM : Tout à fait. Et puis dernière chose : convaincre, ce n’est plus tout à fait du journalisme, c’est plutôt de la vulgarisation. Ce qui est assez décevant, c’est qu’on pourrait se dire qu’il suffit d’informer, d’expliquer, et les gens croiront ces informations. Or on le voit sur plein de sujets, ce n’est pas le fait d’être informé sur un sujet qui change l’opinion. Si c’était le cas, plus on serait informé en sciences, plus on croirait au réchauffement climatique. Or aux États-Unis, le meilleur déterminant pour savoir si quelqu’un croit ou non au réchauffement climatique, c’est son vote. Les Républicains ne croient pas au réchauffement climatique et les Démocrates y croient, parce qu’en fait, cela remet en cause certaines croyances hyper profondes, des choses qui sont trop douloureuses à évacuer et donc on préfère ne pas croire la science.

Tous ces aspects-là se rejoignent un peu dans les fake news. Souvent, une fake news existe parce qu’il existe quelqu’un, quelque part, qui a un intérêt à la faire circuler et cette fake news va entrer en résonance avec ce que certaines personnes ont envie de croire. Et c’est ça qui marche.

Après, il y a plein de fake news bizarroïdes, je ne sais pas pourquoi elles sont là, pourquoi elles marchent. Typiquement, les chemtrails. Des personnes croient que les traînées derrière les avions ne sont pas de la vapeur d’eau mais des produits chimiques qu’on nous envoie, pour des raisons étranges … Toutes les théories du complot sont là et sont très fortes… Et ça peut aller très loin.  Il y a quand même un pourcentage très faible, mais qui existe, de personnes qui croient que la Terre est plate. Il y a même une association Flat Earth. On se demande comment c’est encore possible aujourd’hui. C’est une croyance. Ce sont de vraies questions qu’on se pose beaucoup en médiation scientifique : avec tout cet apport de savoir et de connaissances scientifiques, comment se retrouve-t-on face à un mur de croyances ? Et parfois, la discussion est juste impossible.

STS : Comment lutter contre des croyances qui alimentent  la désinformation? 

CM : En fait, il y a plusieurs pistes. Une personne qui possède déjà une croyance forte, exemple la Terre est plate, ce sera très compliqué de lui faire changer d’avis. L’idéal c’est d’agir pour que cette croyance ne contamine pas d’autres personnes. Et puis, ce n’est pas en apportant uniquement des infos qu’on réussira. Ce qu’il faut prendre en compte, c’est leur vision philosophique du monde.

Par exemple, le Républicain américain ne peut pas accepter le réchauffement climatique parce que sa croyance profonde, c’est “ce qui est bon pour l’économie est bon pour moi, pour les États-Unis, pour le monde”. Le réchauffement va à l’encontre de cette pensée. Si l’on parvient à démontrer que lutter contre le réchauffement climatique a du bon aussi pour l’économie, donc pour les Etats Unis et donc pour lui, peut être qu’il changera d’avis. Ce sont des choses qui fonctionnent à très long terme. Et je pense qu’il ne faut pas hésiter à faire intervenir les émotions. Ça se voit typiquement dans la controverse actuelle des vaccins.

Nous pouvons citer toutes les études possibles, analyser tous les taux de mortalité depuis la mise en place de la vaccination, toutes les informations scientifiques sérieuses et vérifiables, il suffit d’une personne qui dise “regardez telle personne, elle a été vaccinée et après elle est tombée malade” pour que tout tombe à l’eau.

Par rapport à l’émotion procurée par la personne qui est malade, ce qui est rationnel ne fonctionne plus. Par contre, si on commence par se battre sur le même terrain par moment en disant “tel enfant est mort parce qu’il n’a pas été vacciné” (ce qui est vrai), ça permet peut-être de remettre la balle au centre. Il faut savoir montrer son côté humain, de l’empathie, pour que les gens commencent à douter et se disent “oui mais alors je dois faire quoi ?”.

STS : Ne risque t-on pas de glisser vers le sensationnalisme avec cette approche “empathique” ? 

CM : Je suis d’accord, c’est un numéro d’équilibriste. Il ne faut pas forcément faire dans le pathos mais rester dans le factuel. Par exemple, aux États-Unis, une centaine de décès de la rougeole suite à l’arrêt de la vaccination ont été dénombrés. C’est une info importante. Plutôt que de dire “il y a 100 morts”, on fait un article sur  l’un des enfants en question. Autre exemple avec le journal Le Monde qui a opéré un gros changement. Lui qui avait toujours de la hauteur, au moment des attentats de 2015 a publié des portraits de chaque victime. Ça a marqué. Au-delà de donner l’info sur le nombre de victimes, faire un portrait de ces victimes, c’est peut-être plus fort contre le terrorisme. Nous n’avons pas besoin que de rationalité. Nous avons besoin d’humanité. Il ne s’agit pas d’aller dans le pathos mais de parler des gens aux gens. Et pour en revenir à la science, il ne faut pas forcément s’interdire toute émotion sous prétexte qu’on parle de science.

STS : Pour rester dans le thème des fake news, la Fédération mondiale des journalistes a eu son congrès récemment et se demandait si le fact-checking n’allait pas devenir le futur du journalisme. Qu’en penses-tu ?

CM : Alors je m’intéresse pas mal au fact-checking. Je suis ce que font Les Décodeurs, j’aime beaucoup ce qu’ils font. Il y a aussi Intox-Désintox à Libé, les détecteurs de rumeurs sur France Inter… Le problème du fact-checking, c’est que ça vient après. Et du coup cela a une moindre ampleur.  Par exemple, un politique qui dit une énorme erreur volontairement sur un grand média, même si après coup il y a les fact-checkeurs qui démontrent que c’est faux, le public n’aura souvent retenu que la fake news.  Donc c’est utile de corriger mais en même temps je ne parviens pas à voir l’impact que ça a. Il existe des tendances à aller vers un fact-checking en temps réel mais cela semble quand même hyper compliqué.

STS : Comment, selon toi, sont traitées les sciences dans les médias grands publics comme la télé aujourd’hui ? 

CM : Les sujets qui sortent médiatiquement à la TV sont essentiellement des sujets sociétaux. Après, il y a des sujets non sociétaux, comme par exemple la découverte des ondes gravitationnelles. Mais pour l’instant cela ne bouleverse pas notre quotidien. Et pourtant c’est une super nouvelle. Ils ont dû un peu en parler quand il y a eu le prix Nobel dessus mais ils ont dû vite évacuer tellement ils avaient peur.

Mais je ne me rends pas compte de tout car je dois vous avouer que je n’ai pas la télé. J’en sais beaucoup plus sur la TV depuis que je collabore avec une amie réalisatrice qui me présente tout ce qui existe à la télé en sciences. Mais je ne suis vraiment pas une spécialiste.

Dans les autres médias, la place accordée aux sciences avec une rubrique dédiée et des  journalistes scientifiques reste faible. Si on compte le nombre de journalistes spécialisés en sciences à la télévision, il n’y a quand même pas grand monde. À la radio, un peu plus. Il y a des choses très belles mais pas forcément à des horaires adaptés. J’adore La tête au carré de Mathieu Vidard mais c’est à 14h. Donc ça touche les gens qui peuvent travailler avec la radio et les retraités en gros. Pareil pour la Méthode Scientifique sur France Culture, radio plus confidentielle, qui passe à 16h.

Je trouve que beaucoup de sujets mériteraient en tout cas un éclairage scientifique. Je ne parle pas forcément des découvertes scientifiques mais de toutes les news qui cachent plein de sciences : un tremblement de terre, une explosion de centrale nucléaire, par exemple. Je me souviens, quand j’étais à “Sciences & Avenir”, un politique avait fait cette déclaration : “il faut que d’ici 5 ou 10 ans, les constructeurs (d’automobiles) proposent des voitures à 2 litres au 100”. Et bien il y a de la science et des techniques derrière ça : est-ce que c’est possible ? Comment fait-on ?

Pour en revenir à la télé, de toute façon je trouve que c’est un média en perte de vitesse. D’autres médias sont arrivés et arrivent encore. J’ai assisté à l’éclosion des vidéos Youtube en sciences. C’est un truc assez énorme, notamment vers les jeunes qui délaissent totalement la télé pour aller vers cette plateforme. Après on y trouve de tout, du bon et du mauvais. Mais au moins, cela offre un espace de liberté et la télé est un média très frileux concernant les nouveautés à proposer.

STS : Et pour la presse écrite, quelle place pour les journalistes scientifiques ?

CM :  Pour être honnête, nous sommes plutôt riches en revues spécialisées. Nous avons 4 grandes revues, Pour la science, La Recherche, Science & Vie, Sciences & Avenir et quelques-unes un peu plus spécialisées, comme Tangente en maths. Et aussi Science & Vie junior, Science & Vie découverte et quelques autres comme ça. Par contre, dès qu’il s’agit de presse généraliste, c’est quand même plus limité.

Avant, certains magazines comme Le Point, L’Express, peut-être Le Nouvel Obs, intégraient des journalistes scientifiques dans leurs équipes. À Libé, il y avait aussi une rubrique Sciences, c’était Sylvestre Huet qui était le journaliste scientifique dédié. Et puis la rubrique a disparu. Le Monde en garde encore une, en format hebdo, très riche avec de nombreux journalistes spécialisés. C’est un bon point. Au Figaro, c’est une rubrique quotidienne qui n’est pas mal, axée sciences et médecine. Il me semble que le journal la Croix a aussi un journaliste scientifique dans son équipe rédactionnelle.

STS : Nous voyons aussi un nouveau modèle économique émerger dans lequel ce sont les chercheurs qui produisent les contenus, comme par exemple The Conversation, ou même dans la revue La Recherche. Le journal du CNRS aussi que nous ne savons pas trop situer dans ce panorama. Comment considères-tu cette évolution ? 

CM : Pour le Journal du CNRS, pour moi c’est très différent car il s’agit d’un média de communication. The Conversation, c’est plus compliqué, j’ai du mal à le classer. C’est sponsorisé par les universités mais cela ne leur garantit pas la publication d’articles et si une université n’est pas sponsor, l’article peut y être publié quand même.  C’est un peu un entre-deux. Dans les revues La Recherche et Pour la Science, c’est différent. Je ne pense pas que faire rédiger par des chercheurs soit un modèle économique, c’est plutôt une question de crédibilité, cela fait très sérieux.

STS : Un sujet qui ressort beaucoup ces derniers temps, la sous-représentation des femmes dans les sciences et techniques. Il semble que cela ne s’améliore pas vraiment, qu’en penses-tu ? 

CM : Je suis d’accord et il y a de nombreuses raisons à cela. Nous aimons interviewer des personnes qui ont du recul sur la discipline donc souvent des chefs. Or, il y a beaucoup moins de cheffes femmes que de chefs hommes. Alors même si nous n’interviewons pas seulement des chefs cela reste quand même des seniors et peu de doctorants. Donc le vivier d’expertes est moins grand. Et puis, d’autre part, les femmes se mettent moins en avant. L’une des raisons vient de l’éducation car on leur a appris à rester discrètes. Elles nous diront plus facilement “non je ne suis pas la personne légitime pour parler de ça, allez plutôt voir des collègues” . Un homme dira moins ce genre de choses. Et puis, en tant que journaliste, quand je contacte des scientifiques, ce sont souvent des scientifiques qui ont déjà fait de la vulgarisation. Et les femmes en vulgarisation sont moins visibles. J’ai l’impression qu’elles ne souhaitent pas cumuler deux handicaps : celui d’être une femme qui doit se battre pour sa crédibilité scientifique et celui de faire de la vulgarisation qui, encore aujourd’hui, peut avoir mauvaise presse dans la communauté scientifique. Le site “Les Expertes” est une super initiative, il mériterait d’être plus utilisé et aussi mieux adapté aux recherches.

Je me rends compte que j’ai plus souvent interviewé des hommes. Maintenant, je fais attention à ne pas négliger les femmes.

 

STS : Est-ce que tu peux nous parler de Gaston Lagaffe et du travail que tu as effectué autour de ses inventions farfelues ?

CM : Je suis super fière de ce boulot. Je me suis éclatée. Depuis mon enfance, je suis fan de Franquin en général et de Gaston Lagaffe en particulier. C’est parti de l’actu des 60 ans de la parution, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. Ça faisait longtemps que j’y pensais et je ne trouvais pas l’idée. Et puis tout à coup, je me dis qu’il fallait parler des sciences de Gaston Lagaffe.

Le plus rigolo quand même, c’est que j’étais dans mon jardin, dans mon hamac, en train de lire les Gaston, et je me disais “là je suis en train de bosser”. En fait, ça a été un énorme boulot car j’ai dû sélectionner une soixantaine de planches où il y avait potentiellement de quoi parler en sciences. 

Par exemple, pour la question du gaffophone qui pourrait déclencher des avalanches, j’ai contacté un chercheur qui m’a sorti une étude sur l’impact des sons très forts sur les avalanches et qui montrait que ce n’était pas possible. Mais il y a une étude scientifique là dessus.

J’aime beaucoup la machine à bilboquet. J’ai demandé à des roboticiens et l’un m’a envoyé une vidéo d’un robot qui joue au bilboquet. Enfin ce n’est pas tout à fait le bilboquet parce que c’est ce qu’ils appellent “ball in a cup”. En commençant, je ne me doutais pas qu’il y avait des recherches là-dessus. À un moment, Gaston Lagaffe fait plein de trucs sur les appeaux, il siffle les appeaux et il y en a un qui ne fait aucun bruit mais qui attire les moustiques. Je fais des recherches via Google, je joins un chercheur et il me dit “justement, mon postdoc c’est là-dessus”. En un mot, comment attirer les moustiques pas uniquement par le bruit mais par différents trucs, pour lutter contre les maladies portées par les moustiques. Et j’ai réalisé qu’il [Franquin, ndlr] était vachement précurseur. Ce qu’il a traité est encore au coeur des recherches actuelles. Ça a été un énorme boulot mais un boulot super.

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La mouette rieuse de Gaston peut-elle jouer les ouvre-boîtes ? Comment faire voler avions et contrats ? Le gaffophone, appeau à avalanches ? La machine à jouer au bilboquet n’est toujours pas au point ? Se faire mousser ou pas, c’est tout un art. 

 

Retrouvez le livre de Cécile Michaut “Vulgarisation scientifique : Mode d’emploi” – éditions EDP Sciences – septembre 2014