[RENCONTRE] Femmes scientifiques : quelles représentations dans les séries TV ?


Si je vous dis Samantha Carter, Abby Sciuto, Jemma Simmons, Bernadette Rostenkowski ou Amy Farrah Fowler, qu’ont-elles toutes en commun ?

Ce sont toutes des personnages féminins scientifiques dans des séries télé !

De nos jours, les séries télévisées ont une place prépondérante dans la vie et les soirées des foyers du monde entier (ne mentez pas, je suis sûre que vous avez vous aussi votre petite série fétiche). Nées en même temps que la télévision elle-même, les séries ont fini par s’imposer dans les grilles des programmes hebdomadaires et intègrent même certains cursus universitaires. (Exemple avec le cycle de recherches « Sciences sociales et séries télé » qui a décrypté la série “THE WIRE” à l’Université Paris-Nanterre)

Nous savons aussi que, malgré des dispositions identiques aux garçons, les jeunes filles ont tendance assez tôt à penser que les STEM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques) ne sont pas faites pour elles. Cela nous amène à nous interroger sur les représentations des femmes scientifiques véhiculées dans les supports de culture populaire que sont les séries télé, alors que justement plane le spectre de l’effet Matilda.

Effet Matilda : Dans les années 1980, l’historienne des sciences Margaret Rossiter remarque que les travaux des femmes scientifiques sont minimisés, voire que leur contribution se trouve effacée des travaux de recherches honorés. Ce phénomène de non-reconnaissance des femmes scientifique porte le nom d’ “effet Matilda”, en clin d’oeil à l’effet Matthieu, théorisé par le sociologue Robert King Merton qui montre que, plus une personne possède une renommée scientifique, plus ses travaux seront loués.  Cela arrive bien évidemment surtout aux scientifiques masculins !

La représentation a donc son importance. Et pour m’accompagner à décrypter les représentations des femmes scientifiques dans les séries télévisées, quoi de mieux que de faire appel à une experte de Scully !

Hélène Breda est maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication au sein du LabSic de l’Université Paris 13. Ses recherches portent sur la représentation des identités culturelles à l’écran, dans la fiction et les médias, sur la critique audiovisuelle à l’ère du numérique et sur les mobilisations militantes en ligne (féministes, queer, LGBT+). Elle rédige actuellement un ouvrage sur les “communautés professionnelles” dans les séries télévisées. C’est aussi une grande passionnée de séries télé !

Présentation en format audio pour mieux connaître mon invitée

Présentation d’Hélène Breda par elle-même.
L’enregistrement ayant eu lieu dans un café légèrement bruyant tendez bien l’oreille !

Représentations des scientifiques et imaginaires sociaux

“Les séries télévisées que nous consommons au quotidien travaillent les imaginaires sociaux. Elles se nourrissent du contexte social qui les produit, nous y retrouvons donc des choses familières. Ces séries vont aussi alimenter les imaginaires et les mentalités peuvent évoluer ou être influencées. Les imaginaires collectifs sont travaillés par ce que nous voyons dans les médias.”

Hélène Breda

Quels types de personnages scientifiques retrouve-t-on dans les séries ?

De manière générale, nous retrouvons des personnages scientifiques à presque tous les niveaux dans les séries télévisées :

  • des personnages principaux – l’anthropologue judiciaire Temperance Brennan dans la série “Bones
  • des personnages secondaires – par exemple la biochimiste Jemma Simmons dans “Marvel’s agents of S.H.I.E.L.D.”
  • des personnages tertiaires (personnage uniquement défini par sa fonction et qui n’a pas réellement d’histoire mais qui est suffisamment présent pour être identifiable) – par exemple, le personnage d’Astrid Farnsworth, agent du FBI spécialiste en linguistique et sciences informatiques dans la série “Fringe
  • des personnages ponctuels, voire très ponctuels – le Dr Elizabeth Plimpton, une physicienne célèbre hébergée par Sheldon Cooper dans un des épisodes de “The Big Bang Theory

Quelles séries présentent des personnages scientifiques ?

Hélène Breda détaille les grands types de séries où les scientifiques peuvent jouer un rôle. Il y a d’abord tout le pan des séries médico-légales où la science aide à résoudre des enquêtes. Puis, il y a également les séries de Science-Fiction qui proposent plutôt sur une projection de ce que pourrait produire la science soit en terme de progrès soit en terme de dérive possible. Les séries de type sitcom vont jouer de certains archétypes ou stéréotypes de l’image que nous pouvons avoir des scientifiques. L’un des meilleurs exemples reste le personnage de Ross dans la série “Friends”. Parfois, nous tombons sur des séries plus marginales, comme la série “Breaking bad” dans laquelle un professeur de sciences un peu loser au départ se retrouve à la tête d’un réseau de drogue assez important grâce à ses compétences en chimie puis… à d’autres éléments !

Cela semble assez compliqué d’évaluer la place donnée aux scientifiques dans les séries télé en général et il faudrait les analyser au cas par cas. Il faudrait un paquet de soirées télé pour réussir à extraire les éléments de l’analyse… et cela déjà avant même d’aborder la question du genre !

Il y a des séries où le côté un peu rare de la présence des femmes et avec une position subalterne va transparaître, comme dans les filières STEM qui sont restées assez hermétiques aux femmes. Il y a quand même, heureusement, des séries qui vont montrer qu’il y a des femmes scientifiques, qui vont leur donner un rôle important et une place décisive dans la narration. “

Hélène BREDA

Une évolution est assez visible sur la représentation des personnages de femmes entre les années 1960-70 et les années 2000, notamment au niveau de la place et du rôle de leurs personnages et de leur influence dans la narration.

L’arrivée de “showrunneuses” (des scénaristes en cheffe sur l’ensemble de la série) a, semble-t-il, beaucoup apporté en termes de représentations des personnages féminins : des personnages plus réalistes, plus diversifiés, plus autonomes. Notons par exemple les avancées concernant la représentation des diverses sexualités féminines grâce aux séries écrites par Shonda Rhimes (“Grey’s Anatomy“), Sarah Treem (“The Affair“), Jenji Kohan (“Orange is the new black“), Lana et Lilly Wachowski (“Sense 8“) ou Jill Solloway (“I love Dick“).

Pour en revenir aux  femmes scientifiques, selon Hélène Breda, le personnage de Dana Scully dans “X-Files” a vraiment posé des jalons pour la suite. 

L’effet Scully

C’est effectivement un personnage incontournable. Pour Hélène Breda, elle est emblématique. La série “X-Files” fonctionne sur un duo masculin-féminin très intéressant qui renverse les stéréotypes habituels de l’homme rationnel et de la femme émotionnelle. Ici, le personnage masculin, Fox Mulder, est celui qui croit au paranormal, aux extra-terrestres, donc à l’intangible, alors que Dana Scully représente l’esprit rationnel scientifique. 

Ce personnage est super intéressant et je suis convaincue qu’elle a inspiré beaucoup de générations de jeunes femmes pour aller vers la science.

Hélène Breda

L’effet Big Bang

Amy et Bernadette, en pleine expérimentation !

Autre exemple plus récent de femmes scientifiques à la télé, les personnages d’Amy Farrah Fowler et de Bernadette Rostenkowski dans “The Big Bang Theory” (TBBT pour les intimes), série qui est, selon Hélène Breda, incontournable aujourd’hui quand on parle de la représentation des scientifiques. Car, même si elle est souvent caricaturale, l’arrière-plan scientifique est extrêmement réaliste.

C’est une série qui commence sur un quatuor de garçons. Nous sommes là dans l’archétype du nerd qui n’a pas de vie sociale et qui ne sait pas y faire avec les filles. La seule fille du casting au début de la série, c’était la jolie blonde qui ne semble pas très maline. Finalement, des personnages féminins scientifiques sont ajoutés dans le casting secondaire.

Elles ne sont pas autant montrées dans leur sphère et leur travaux scientifiques que ne le sont les personnages masculins mais elles sont là. Amy est chercheuse en neurosciences et Bernadette chercheuse en biologie. Ce sont des sciences considérées comme plus souples que la physique qui serait de la science dure absolue. Implicitement, il reste des codes de genre qui s’immiscent dans les représentations de ces personnages.

Malgré tout, c’est une évolution pour la série de montrer des femmes scientifiques et pas juste des femmes qui soient uniquement liées à l’intérêt amoureux ou sexuel pour les personnages masculins.”

Hélène Breda

L’effet “Grey”

Meredith & Miranda dans Grey’s anatomy

Une dernière série à forte connotation scientifique et très intéressante aux yeux d’Hélène Breda du point de vue des représentations de genre et du féminisme, sur laquelle il convient de s’arrêter est “Grey’s Anatomy“.

“C’est une série qui fait un peu sourire parce que, comme elle est codée comme féminine, pour un public cible féminin, elle est dévalorisée à cause de cela.

Dans “Grey’s anatomy”, on trouve de la recherche en train de se faire, avec des personnages qui font leurs protocoles, qui vont même se retrouver en concurrence. On y voit aussi un peu tout le côté financier de la science, notamment aux USA où il faut obtenir une bourse, des fonds très importants pour pouvoir mener à bien ses recherches. Tout ça va alimenter la narration, avec tout ce que ça suppose de rebondissements et de drama.

Meredith Grey et Miranda Bailey sont vraiment des personnages importants dans la question des représentations.”

Hélène Breda

Tous les exemples de femmes scientifiques cités en introduction de cet article ne sont pas LE personnage principal, même si certaines ont des responsabilités et des tempéraments plutôt importants dans les intrigues. Elles ont cependant le mérite d’être là et de montrer des modèles de femmes scientifiques aux jeunes filles et aux femmes, et ainsi donner à voir leur présence dans le domaine des sciences.

Alors, où en sommes-nous dans les représentations ?

Je laisse le mot de la fin à Hélène Breda sur ce travail de représentation des femmes scientifiques dans nos séries favorites :

“Ce travail des femmes scientifiques dans les séries TV est à mettre dans un travail forcément plus large sur la représentation féminine dans les séries et dans la culture en général. Nous savons qu’il y a des évolutions, que le chemin n’est pas fini, qu’il peut aussi y avoir des régressions, des choses un peu contre-productives, des effets de “backlash” [une réaction conservatrice face à un changement social progressiste, ndlr] au niveau des publics.

On peut espérer que, à tous ces niveaux, cela va continuer d’évoluer car certains publics sont clairement en demande. Il reste encore des choses à faire pour contenter ces publics-là.

Hélène Breda

Un énorme merci à Hélène Breda d’avoir accordé de son temps pour notre entrevue. Vous pouvez la retrouver sur twitter @helene_breda et / ou soutenir l’association Diveka, qui fait la promotion et valorise la littérature jeunesse, les séries TV, les films et toutes les oeuvres culturelles à destination du jeune public en y faisant la part belle à la diversité, sous toutes ses formes !

Pour aller plus loin :

Article rédigé par @jlouvel avec la collaboration de @vdesousa et @mlefrancois pour l'association Sème Ta Science

Vous souhaitez vous aussi proposer des articles et des textes ? 
Contactez-nous !