Dans le cadre de notre dossier Sexe, genre et médiation scientifique, nous vous proposerons régulièrement des portraits de femmes scientifiques. L’occasion de mettre en lumière les trajectoires de ces chercheuses souvent peu ou mal connues et de les remettre en perspective dans le contexte de notre réflexion contemporaine. Premier portrait aujourd’hui en la personne de Margaret Ann Buckley proposé par Prisca.
Afin de pouvoir exercer le métier de médecin, la charmante Margaret Ann Bulkley a dû user de son intelligence pour franchir les barrières de l’université. Adieu robes, rubans et manières et bonjour les pantalons, chemise et raison. Margaret Ann Bulkley devient James Miranda Barry. Un homme, un vrai… ou presque.
Préambule : détour par le 7ème art
Lorsqu’on évoque l’idée du travestissement, des films viennent à l’esprit comme “Tootsie” de Sydney Pollack avec Dustin Hoffman, “Certains l’aiment chaud” de Billy Wilder avec Tony Curtis et Jack Lemmon ou encore “Madame Doubtfire” de Chris Colombus avec Robin Williams. Mais ce sont des films où des hommes se travestissent en femmes. Les références avec des femmes se travestissant en hommes sont plus rares et moins populaires. Pourtant, on peut citer le fabuleux “Albert Nobbs” de Rodrigo Garcia avec Glenn Close, “Yentl” de et avec Barbara Streisand, “Shakespeare in love” de John Madden avec Gwyneth Paltrow ou le dessin animé “Mulan” de Tony Bancroft et Barry Cook. Dans les films occidentaux, le travestissement en homme permet d’acquérir la liberté d’agir que les femmes ne possèdent pas. Ainsi elles peuvent avoir un emploi, participer activement aux rites de leur foi, devenir comédiennes et même défendre l’honneur de leur famille.
Il faut souligner que bien de ces fictions s’inspirent de faits réels. La vie de Margaret Ann Bulkley, connue sous le nom de James Barry, fait partie de ces histoires incroyables et vraies.
A la rencontre de Margaret Ann Bulkley
Jeremiah et Mary-Ann Bulkley donnent naissance à une jeune fille : Margaret Ann Bulkley. Elle grandit au sein d’une famille modeste mais son père, surendetté, finit en prison. Par chance, le peintre et oncle de Margaret, James Barry, prend la famille sous son aile et les installe à Londres. Il souhaite donner une bonne éducation à sa nièce qui s’oriente vers les sciences et la médecine. Un problème se pose : l’enseignement supérieur est alors interdit aux femmes. Mais à cœur vaillant, rien d’impossible. L’oncle, aidé par ses connaissances progressistes, imagine une solution : la travestir en homme.
Même si l’idée est excellente, l’oncle bienveillant ne pourra pas voir le courage de Margaret car il meurt précipitamment. Pendant 3 ans, la mère et la fille vivent à Londres grâce à l’héritage reçu. En 1809, elles décident de tirer un trait sur leur ancienne vie pour en débuter une nouvelle à Edimbourg. Une incroyable page de l’histoire de la médecine va bientôt s’écrire.
Quand les universités étaient interdites aux femmes
Avec l’aide d’amis de son oncle, Margaret change d’identité pour devenir James Miranda Barry et arrive en Écosse. C’est un jeune homme brave et courageux qui s’inscrit à l’université en médecin et en littérature. En 1812, il en ressort avec un diplôme sous le bras. Elle devient dans le plus grand secret la première femme médecin britannique. L’année suivante, James Miranda Barry s’enrôle dans l’armée en devenant assistant médical. Débute alors une carrière étonnante à travers le monde : Inde, Afrique du Sud, Île Maurice, Sainte-Hélène, Trinité-et-Tobago, Corfou, la Jamaïque… Sur le champ de bataille à Waterloo, il est décoré par le général Wellington.
Au cours du temps, il prouve son talent et accède au grade d’inspecteur général des hôpitaux, le plus élevé du système de santé. Son travail est incroyable : il jugule une épidémie de choléra à Malte, réalise une césarienne en sauvant l’enfant et la mère en Afrique, améliore les systèmes de distribution d’eau dans les hôpitaux au Cap. Il crée même un traitement pour soigner la syphilis et la gonorrhée. Sans oublier ses convictions où il prône le droit des femmes, des noirs et des pauvres à avoir accès aux soins.
Quand l’autopsie révéla la vérité
Après 40 ans de bons et loyaux services auprès de l’armée britannique comme chirurgien, James Barry décède le 25 juillet 1865, probablement d’une dysenterie. Sophia Bishop, la femme en charge du corps avant l’enterrement, fait une découverte de taille : James Barry est une femme. Pourtant l’une des demandes du chirurgien était qu’on l’enterre avec les vêtements qu’il portait le jour de son décès. L’armée demande le secret absolu. La rumeur se répand pourtant dans les journaux. Des questions se posent : comment une femme a-t-elle pu garder son identité secrète si longtemps ? Comment une femme a-t-elle pu avoir une telle carrière ?
Durant cent ans, l’armée britannique placera sous scellés dans les archives du British War Office tout ce qui concernait celle qui était née sous l’identité de Margaret Ann Bulkley. Il faudra attendre la fin des années 1950 pour que l’historienne Isobel Rae tombe sur ces documents. Elle se passionnera pour cet incroyable personnage dont elle écrira la biographie “The Strange Story of Dr James Barry”. À partir de ce moment, James Miranda Barry sortira à jamais de l’oubli.